Turbulences by Eshkol Nevo

Auteur:Eshkol Nevo [Eshkol Nevo]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard
Publié: 2024-02-01T08:44:38+00:00

*

Pour autant, j’ai été très surpris de la voir débarquer chez moi, le soir même.

*

J’ai cru que c’étaient des gamins venus collecter des dons pour une association quelconque qui frappaient à ma porte.

Personne, hormis eux, n’avait toqué à ma porte dans les mois qui avaient suivi la disparition de Niva.

Certes, des amis téléphonaient de temps à autre, mais sans venir jusqu’à la maison. Peut-être attendaient-ils que je les invite. Peut-être craignaient-ils que mon chagrin ne les contamine. Ou peut-être que, depuis toujours, ils venaient chez nous pour voir Niva plus que pour me voir moi.

J’ai ouvert la porte : Liat se tenait devant moi. Elle avait pleuré, c’était évident. Son maquillage délicat, toujours le même, dégoulinait au coin de ses yeux, ses joues luisaient sous les larmes, elle serrait un stéthoscope dans sa main.

« Vous l’avez oublié au service, m’a-t-elle dit. Or j’ai vu que, demain, vous avez une consultation au dispensaire communautaire, alors, je me suis dit…

— Merci, ai-je répondu en prenant le stéthoscope de sa main tendue. Que ferais-je sans vous, docteure Ben-Abbou ?

— Bon », dit-elle avec un sourire. C’était le « Bon » de quelqu’un s’apprêtant à tourner les talons, mais elle n’a pas bougé et, au bout d’un moment, elle a ajouté : « Je ne voudrais pas vous déranger…

— Je suis seul ici, ai-je précisé.

— “Les êtres humains sont presque toujours seuls…”

— En effet, c’est le cas », ai-je dit en souriant afin qu’elle comprenne que j’avais reconnu la citation de Dune. Et j’ai ajouté : « Entrez, docteure Ben-Abbou, je vous en prie.

— Vous êtes certain que ça ne vous dérange pas ? » a-t-elle demandé, en ramenant une mèche rebelle derrière son oreille.

« Pas du tout, pas du tout. » Et je me suis demandé : Comment a-t-elle trouvé mon adresse ? Puis je me suis souvenu : la liste des contacts au secrétariat. Brusquement, je me suis senti confus : elle qui a l’habitude de me voir en blouse blanche, me voilà en tenue négligée, un vieillard en survêtement et en pantoufles avec des taches de vieillesse aux joues.

Elle est entrée et s’est mise à examiner le salon.

« Oh là là, tous ces disques !

— Oui, me suis-je pavané. Nous avons réuni cette collection ensemble, Niva et moi. »

Elle s’est plantée devant le rayonnage et a compulsé les pochettes.

« Une collection plutôt éclectique, je dois l’avouer, nous étions tous deux amateurs de…

— Schubert et Dudu Tassa à la fois.

— Bravo, vous vous en souvenez.

— Une bonne mémoire, c’est fondamental dans notre métier, non ?

— Niva refusait toujours qu’on se limite à la musique qui nous plaisait dans notre jeunesse, et tout le temps… tout le temps, elle cherchait des sonorités nouvelles. »

Désignant la photo posée près de la télé : « C’est elle ?

— Oui.

— Impressionnante.

— Tout à fait d’accord.

— Et elle avait… elle a des yeux rieurs.

— En effet.

— Où vous êtes-vous rencontrés ? Je peux… vous poser la question ?

— À l’université.

— Quoi ? Elle aussi est médecin ?

— Après ses études, un laboratoire pharmaceutique l’a recrutée.

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